WILCO

La mixité d’usages : construire une ville agile, humaine et réversible

5 novembre 2025
Ismail Maayoufi
Business Manager WILCO Industry
Logo - WILCO

Une réponse à la raréfaction du foncier, à l’évolution des usages, des attentes sociales et écologiques ?

Dans un contexte où le foncier se raréfie, où la pression sur le logement ne cesse de croître et où de nombreux espaces restent sous-utilisés, l’immobilier doit se réinventer pour répondre à des besoins sociétaux en profonde mutation. WILCO et La French PropTech ont réuni des acteurs divers de l’immobilier et de l’urbanisme pour aborder la mixité d’usage des bâtiments. 

Un événement animé par Christine Battendier, co-fondatrice de Novacess et membre de la French Proptech.

Les intervenants

  • Maria Eugenia Lopez Medina, CEO d’Heria
  • Carmen Peyron, Directrice Innovation chez In’li
  • Arthur Aubin, CEO de Novaccess
  • Nathan Laufer, CEO de OUIPARK
  • Michele Dominici, Expert smart city innovation, Société de Livraison des Ouvrages Olympiques (SOLIDEO)

L’urgence de la mixité d’usages pour s’adapter aux nouvelles réalités

« 5 millions de m² de bureaux sont vides en Île-de-France, contre 4 millions il y a quelques années. »

Un paysage urbain en mutation

La table ronde s’est ouverte sur un constat partagé : le bâti peine à suivre le rythme des mutations sociales et environnementales. La pandémie a bouleversé les usages, accélérant le télétravail, modifiant la demande en bureaux. Comme avait mentionné Vincent Dulac lors du premier volet de cette série de tables rondes : « 5 millions de m² de bureaux sont vides en Île-de-France, contre 4 millions il y a quelques années. ». Ces bouleversements ont remis en question la séparation stricte des fonctions urbaines. Les PLU (plan local d’urbanisme), longtemps axés sur la création massive d’espaces urbains, laissent aujourd’hui un héritage d’espaces largement sous-utilisés, poussant à repenser la vocation de ces surfaces.

 

Crise du logement et besoin de flexibilité

 

Carmen Peyron, directrice Innovation d’In’li rappelle que le besoin en locatif est énorme, surtout dans les grandes agglomérations. Chaque logement proposé par In’li fait office d’une centaine de candidatures. La tension sur le logement exige une nouvelle approche, plus flexible, notamment pour répondre à la diversité des réalités familiales : familles monoparentales, recomposées, jeunes actifs…

 

Maria Eugenia Lopez Medina est CEO de Heria, une startup proposant une plateforme d’aide à la recherche de logement des familles monoparentales. Elle insiste sur la nécessité de partage et de mutualisation des espaces. La colocation n’est plus vu comme solution étudiante, elle répond à la fois à des impératifs économiques et à un besoin de lien social. Maria témoigne « Je reçois toutes les semaines des demandes de colocation de la part des femmes monoparentales et pas que… La colocation est une solution. » Cependant les agences traditionnelles ne savent pas comment gérer cette nouvelle demande de colocation hors cadre étudiant. Les dossiers ne rentrent pas dans les normes et les appartements traditionnels ne sont pas conçus autour de ce mode de vie. Cette dynamique ouvre la voie à une nouvelle génération de bâtiments, adaptables et évolutifs.

 

La flexibilité devient essentielle, à l’image de la « pièce à la demande » présentée par Michele Dominici. Le principe : deux appartements mitoyens se partagent une pièce qui leur permet de passer d’un T2 à un T3. Cet espace peut être rattaché à l’un ou l’autre logement pour s’adapter aux besoins évolutifs des habitants. Ce projet a par exemple permis à une personne âgée et à une famille monoparentale pratiquant la garde alternée de mutualiser cette pièce. Elle servait ainsi à accueillir l’enfant de la famille certaines semaines, et les visiteurs de sa voisine les autres.

Solutions innovantes pour des villes résilientes

« La réussite de la mixité d’usages passe par la prise en compte des besoins humains, des relations et de l’engagement collectif. »

Optimisation des espaces sous-utilisés avec l’exemple des parkings

L’impact des réglementations urbaines est indéniable, la création massive de parkings par exemple, désormais largement sous-utilisés, doit aujourd’hui laisser place à des usages plus adaptés. Nathan Laufer CEO de OUIPARK et Arthur Aubin CEO de Novaccess proposent trois axes majeurs :

 

  • Réduction du nombre de parkings : les solutions de mobilités partagées comme l’autopartage permettent de diminuer de 15 % minimum le nombre de places obligatoires et de  libérer du foncier pour d’autres usages tout en générant des économies considérables.

  • Transformation en entrepôts logistiques ou ateliers : les parkings peuvent devenir des espaces de logistique du dernier kilomètre ou de stockage, répondant aux besoins urbains et à la neutralité carbone.

    • La solution de Novaccess, une application sur smartphone permettant d’ouvrir les portes de parking sans badge physique prend tout son sens. Elle permet à n’importe quelle personne autorisée d’ouvrir un parking sans passer par un échange de badge en physique.

  • Ouverture à des usages citoyens : impliquer les habitants dans la gestion de ces espaces (parkings mutualisés, terrains de sport…) favorise l’émergence de modèles hybrides, générant des revenus pour les bailleurs et du lien social pour les quartiers.

La mixité verticale et les bâtiments réversibles

La mixité d’usages se concrétise notamment à travers la conception de bâtiments « millefeuille », où se superposent commerces, bureaux, logements, espaces partagés et jardins. Cette approche densifie la ville tout en favorisant la diversité des usages sur un même site. Le modèle historique  haussmannien illustrant parfaitement la flexibilité des usages.

 

Pour faciliter l’accès au logement des jeunes actifs et des salariés des classes moyennes, In’li propose une solution innovante : le logement intermédiaire (ou LLI). Son principal atout ? Des loyers à prix maîtrisé, en moyenne 15 % plus bas que sur le marché traditionnel. Ces logements représentent une véritable alternative, à mi-chemin entre le parc social et le parc privé.

 

Pour aller plus loin, il est essentiel de repenser la conception des bâtiments : privilégier la modularité pour permettre une reconfiguration facile des espaces, recourir à la préfabrication afin de réduire l’empreinte écologique du chantier, et anticiper la déconstruction pour faciliter le recyclage et l’adaptabilité future des constructions. Michele Dominici prend en exemple le village des athlètes des Jeux Olympiques de Paris 2024, conçu dès l’origine pour être transformé après l’événement en logements, écoles ou bureaux selon les besoins du territoire. Cette réversibilité a été rendue possible par le permis à double état, une innovation juridique permettant de déposer simultanément deux configurations dans un même permis : une pour l’usage olympique et une pour l’usage post-Jeux Olympique. Cette mesure évite les blocages réglementaires et les recours, garantit une transformation rapide dans les trois ans suivant les Jeux, et prévient la création d’espaces inoccupés comme dans d’autres villes olympiques.

 

Selon Carmen Peyron, bien que la transformation de bureaux en logements soit coûteuse, elle est devenue inévitable. Le coût élevé est l’héritage de stratégies de promoteurs visant à maximiser les profits avec des constructions à bas prix, mais l’évolution des usages rend aujourd’hui cette conversion nécessaire, d’où l’importance d’intégrer dès la phase de conception une réflexion sur les futures reconversions et la réversibilité des bâtiments. 

Le facteur humain et la création de communauté

La conclusion des intervenants est claire, la mixité d’usages ne pourra réussir sans l’adhésion des usagers. Le facteur humain, l’acceptabilité locale et la dynamique communautaire sont essentiels. Le « Comité Éco » de la Solideo illustre cette approche via une mutualisation de cuisines de restaurants, organisation d’ateliers associatifs… Ces initiatives créent du lien social et favorisent une logistique locale et bas carbone. Pour Maria Eugenia Lopez Medina, « la réussite de la mixité d’usages passe par la prise en compte des besoins humains, des relations et de l’engagement collectif ».

 

S’appuyant sur son expérience, Arthur Aubin explique que la mutualisation des espaces communs est un projet qui ne peut réussir qu’à une condition essentielle : qu’une personne soit clairement désignée pour gérer la communauté. Sans ce rôle de coordinateur, même des services pratiques comme une buanderie partagée peuvent rapidement devenir une source de conflits.

Au-delà de ce défi logistique, il soulève des obstacles sociaux encore plus complexes. D’une part, un sentiment d’inégalité peut s’installer : les locataires ne se sentent pas toujours aussi légitimes que les propriétaires pour s’investir et prendre des initiatives dans la vie collective. D’autre part, la mixité sociale, souvent recherchée dans ces projets, se heurte à la réalité : les résidents ont encore du mal à accepter et à tolérer des modes de vie très différents au sein des espaces partagés, créant des tensions difficiles à apaiser.

Les enseignements clés pour un urbanisme d’avenir

« Transformer un besoin social en produit commercial rentable nécessite absolument un modèle mixte public-privé »

La mixité d’usages apparaît comme une nécessité pour optimiser le foncier, répondre à la crise du logement et renforcer la résilience urbaine. Mais pour aller plus loin, il faut lever les freins réglementaires et renforcer la volonté politique. Nathan Laufer regrette que « la volonté politique reste trop faible », tandis que Michele Dominici insiste sur l’importance d’un « changement culturel à opérer ».

 

La réussite de la mixité d’usages nécessite une collaboration étroite entre acteurs publics et privés, et l’engagement de toutes les parties prenantes dans la co-construction des projets. Maria Eugenia Lopez Medina rappelle que « transformer un besoin social en produit commercial rentable nécessite absolument un modèle mixte public-privé ». S’inspirer des modèles internationaux, tout en adaptant les solutions au contexte local, demeure aussi une clé d’innovation pour bâtir des villes plus inclusives.  Nathan Laufer souligne qu’en Inde la mixité d’usage est bien plus avancée qu’en occident, où elle reste débattue. Il décrit des bâtiments intégrant commerces, restaurants, logements et bureaux. Il insiste sur la nécessité de convaincre les décideurs que ce modèle fonctionne tant humainement que financièrement. Le modèle suédois a aussi été aussi évoqué lors de la table ronde. En Suède, la propriété individuelle est strictement réglementée : les bâtiments en location appartiennent principalement à des entreprises privées ou aux Régions. Cette propriété unique favorise la mixité d’usages et le partage : système de « file d’attente » pour l’accès au logement (facilité pour les familles monoparentales), laveries collectives remplaçant les machines individuelles, espaces extérieurs (potagers, barbecues) gérés collectivement.

 

 Au-delà des aspects économiques et réglementaires, la conception architecturale doit être pensée dès l’origine pour intégrer modularité, réversibilité, préfabrication et anticipation de la déconstruction. Car la mixité d’usages, ce n’est pas qu’une question de technique ou d’économie. Elle porte une vision nouvelle de la ville : plus agile, plus humaine, plus durable. Comme le résume Carmen Peyron :

 

« Réglementairement, ça va bouger, en conception et en technique aussi, mais lorsque ce projet de société sera partagé et construit ensemble, nous en serons tous contributeurs. »

 

La mixité d’usages constitue donc un véritable projet de société à bâtir collectivement. La ville de demain s’inventera grâce à l’engagement de tous : acteurs publics, privés, professionnels et citoyens. À nous de bâtir ensemble une urbanité ouverte, vivante et résiliente.



Les tendances

Les tendances